DOUBLE PEINE ! ITINÉRAIRE D’UNE FEMME DÉTRUITE PAR CEUX QUI DEVAIENT LA SAUVER !

Dans le monde, une femme sur trois, selon UNIFEM, a été violée, battue, forcée à l’acte sexuel ou abusée au moins une fois dans sa vie. 200 millions de femmes et d’adolescentes sont quant à elles victimes d’endométriose. Imaginez une seule seconde une femme dont l’endométriose aurait causée le viol d’un médecin. Vous ne le croirez pas, mais c’est pourtant la triste histoire de Kayliah Mélissa, qu’elle a accepté de vous raconter a coeur ouvert.

« Je m’appelle Kayliah Mélissa, j’ai 28 ans. J’ai grandi à Lyon, dans une fraterie de 5 enfants. J’ai toujours été très studieuse à l’école et pour cause, j’ai connu les fins de mois difficiles, les mois où mes parents s’acharnaient au travail pour que leurs cinq enfants ne manquent de rien. Avec de tels parents comme exemple, je savais donc où je voulais aller, mon entourage était très limité. Je me suis consacrée à ma vie professionnelle, j’ai travaillé dur pour financer mes études, mes projets. Je me suis accrochée pendant des années à ma religion, ma famille, mes objectifs. C’est cette force de caractère qui m’a permise d’intégrer une école de commerce à Paris et d’ensuite emménager à Madrid.

Je connais la valeur de l’argent, la valeur de la famille, la valeur du travail, celle de l’acharnement, mais également celle de la vie et celle de la santé. Et pour cause, je suis une femme sur dix. Une sur dix à avoir subi de la violence conjugale. Je suis aussi 12%. 12% de celles qui ont été violées, et encore une fois une sur dix, une sur dix à être atteinte d’endométriose.

Je fais partie de ces femmes qui ont le même combat, mais pas la même victoire. Depuis deux ans, je vis avec un corps qui n’est presque plus le mien, en effet, l’endométriose m’a détruite. Et encore, si ça n’était que cela… peut-être que ça irait… mais non, je vous raconte.

À mes 14 ans, j’avais des règles très douloureuses. Les médecins m’ont conseillé de prendre des médicaments car c’est « normal de ressentir des douleurs. ».

À mes 21 ans, on m’a parlé d’endométriose. Au début, j’étais heureuse car j’avais un nom à mes douleurs, enfin. Je me suis renseignée auprès des médecins et de mon ami Google. On me parle d’infertilité, j’avais seulement 21 ans, mais je n’avais pas à m’inquiéter, car je ne suis qu’à un petit stade. J’ai donc continué ma vie avec douleurs et médicaments pendant des années, j’ai continué d’accepter d’être inapte quatre jours dans le mois, puis dix, puis vingt, j’ai commencé à annuler mes sorties sans donner de raisons, à enchainer les arrêts maladies. 

Plus tard, à mes 26 ans, on m’a parlé de remplacer mes médicaments par une opération. C’était une excellente nouvelle… enfin, c’est ce que je croyais. La date d’opération était prévue pour deux semaines plus tard, mais un matin alors que je me rendais au travail, je m’écroulai sur un sol froid. Je suis passée d’un sol froid à une table d’opération, de la table d’opération a un lit d’hôpital.

Les médecins m’annoncent que j’ai fais une hémorragie, qu’ils ont dû retirer une trompe et un ovaire. J’ai étouffé un cri ce jour-là, sans savoir que c’était que le début de la partie. On m’avait retiré des chances d’avoir un enfant, je comprenais que la maladie n’était pas une simple maladie. Je comprenais que finalement, les solutions n’étaient pas des solutions. Je comprenais que je serais une incomprise. Je comprenais que j’étais détruite. 

J’ai commencé à en parler à mon entourage, cet entourage qui ne comprenait pas comment je pouvais être malade, car cela ne se voyait pas derrière mon sourire, derrière mes années d’acharnement pour ma réussite professionnelle. Je devais combattre ma peur d’être abandonnée, et ce avant même d’avoir commencé une relation. Il est difficile de s’imaginer être malade et accompagnée. J’ai remplacé mon tiroir à maquillage par mes médicaments, mes habits habituels par des habits plus larges pour toutes les fois où mon ventre gonfle de douleurs. 

J’ai accepté de rester alitée pendant un an. Mon corps s’est détérioré. Les douleurs n’étaient plus localisées. Je ne compte plus le nombre de fois où je me suis levée changer mes draps, où je suis restée plié aux toilettes. J’étais pleine de vie, active, positive. Je me suis retrouvée à pleurer, changer d’humeur suivant mes douleurs. J’ai eu ma première opération il y a un an et demi, aujourd’hui j’en suis à ma dixième en un an, j’ai vécu des mois entre des bruits de machines, des allers retours au bloc.

J’ai perdu le goût, la marche, mon cœur et ma respiration se sont même arrêtés. Je détestais mon corps, je voulais en sortir, ne plus le voir. J’ai vécu entre coincée entre quatre murs sans voir personne à part des médecins. J’ai pleuré sur ce lit blanc d’hôpital, j’ai crié quand je devais abandonner des parties de ma vie. J’ai passé des heures à regarder un plafond en étant vide de sens. J’ai passé des heures au téléphone avec la personne que j’aimais, à refaire le monde, à espérer des jours meilleurs. C’était mon seul espoir à ce moment. C’était la personne qui allait être là, à m’attendre à ma sortie d’hôpital. C’est ce que je croyais, ce que je voulais…C’était ce que j’espérais. Je me rattachais à une chose positive pour me maintenir. Sans savoir que j’allais perdre mon emploi après tant d’années à m’être acharné dans mes études et au travail. Sans savoir que j’allais perdre ma maison.

L’absence de connaissance a engendré d’autres conséquences dont mon rein, mon intestin, ma vessie. Ce n’est pas féminin de devoir se balader avec une sonde, de devoir rester aux toilettes en plein restaurant. 

Je fais partie des personnes qui peuvent tomber à tout moment, car mon corps m’abandonne. Je vis avec des symptômes irréversibles : fatigue, douleurs, troubles digestifs, un ballonnement du ventre, blessure de fertilité, déséquilibre hormonal, kystes. Des douleurs folles, paralysantes auxquelles aucun antidouleur ne peut faire face. La maladie est transparente, elle ne se voit pas, mais la douleur mentale est présente. Personne ne me comprend. Tout le monde trouve ça normal et exagéré. Et moi ? Moi, je deviens folle, je veux qu’on me comprenne, qu’on m’aide, mais je ne veux pas être dépendante. 

La pression psychologique est l’une des pires douleurs. Ces médecins qui parlent de toutes les méthodes pour avoir un enfant. Ces médecins qui te rappellent ton âge pour te rappeler qu’avec ton corps, tes chances deviennent minimes pour un jour être mère. Ces médecins sur ton corps, l’obligation de se dénuder devant chaque corps étranger pour chacune de tes auscultations. Je me suis donc isolée. Vivre dans une société où toutes les maladies chroniques sont négligées et mal comprises est difficile. Il y a des jours où je ne voulais plus vivre, il y a des jours où je ne voulais plus de mon corps. J’ai perdu confiance en moi, mais si seulement c’était ça le pire ? Si seulement ça s’arrêtait là ? 

Un jour alors que j’avais rendez-vous en urgence chez un nouveau médecin. Je subis encore les remarques sur le fait que j’ai décidé de rester vierge jusqu’à me marier. Le médecin me fait culpabiliser pendant des minutes qui me paraissent des heures. Il met la responsabilité sur ma faute, c’est ma faute si aujourd’hui, il ne peut pas faire des examens plus approfondis. Vulnérable et allongée sur le matelas de consultation, jambe dénudée, poitrine dénudée devant le médecin. J’ai le droit d’autres remarques concernant la forme de ma poitrine, me demandant si une chirurgie est passée par là. J’étais à ses yeux la jeune femme qui se préserve, mais sans doute un peu trop au vu de mon corps. 

Jusqu’au moment de l’auscultation où je ressens une forte douleur en plus des douleurs de maladie. Je ressens une première et une deuxième larme sur ma joue. Je demande à quitter la pièce. Il s’était passé quelque chose, mais je n’arrivais pas à comprendre quoi, comment et pourquoi ?

À l’heure actuelle tout est encore flou, parfois des détails me viennent, d’autres disparaissent. Je suis rentrée chez moi, je ressentais quelque chose d’anormal et en particulier des saignements. Je ne comprenais pas encore une fois pourquoi. J’ai été consulté un autre médecin, cette fois une femme. Je craignais de devoir me dénuder à nouveau. Jusqu’au moment où cette femme m’annonce que j’ai subi une agression sexuelle, un hymen déchiré. 

Je croyais avoir passé le pire dans ma maladie, mais aujourd’hui je ne sais pas si le pire est de devoir confronté ma maladie ou les médecins ? Ma peur, va au-delà de mes limites, de mon énergie. Comment faire confiance ? Comment vouloir se soigner ? Comment avoir espoir en la médecine ? Ces médecins qui me disaient que mes douleurs étaient dans ma tête, comment faire confiance à un médecin alors qu’aujourd’hui je me retrouve à être agressée et détruite, encore plus que je ne l’étais déjà.

Je suis toujours dans le déni de mon viol. Au départ, j’ai étouffé un cri en réalisant qu’un homme, un médecin avait abusé de ma vulnérabilité. Je ne réalisais pas vraiment. J’ai pris mes réseaux sociaux, habituée à écrire machinalement ce que la maladie me fait subir. J’avais lié ce viol à ma maladie. Je ne réalisais pas à quel point c’était grave et même après les réactions, des personnes. J’ai été porté plainte et je ne savais plus quoi dire. J’avais subi quoi ? Un viol ? Moi ? Une agression, c’est moins violent. Un dérapage ? Le viol, ce n’est pas possible. 

Mon cerveau vrillait, comme si moi, j’étais exceptionnelle et je ne pouvais pas subir l’inimaginable. Il y a quelques semaines, je regardais une émission sur le viol et aujourd’hui je me retrouvais là, à porter plainte pour un viol. Au moment de porter plainte, on m’a conseillé de ne pas mettre des avis négatifs sur les réseaux sociaux, de ne pas mentionner de nom, car ma parole serait la mienne contre la sienne. Ma parole pourrait engendrer des conséquences.

Si j’ai eu une facilité à le dire sur mes réseaux sociaux, j’ai eu du mal à le dire à ma famille. J’étais honteuse. Comme si je me dénudais devant ma famille. J’ai préféré le dire à ma grande sœur. C’est elle qui remplissait mes papiers, c’est elle qui me conseillait, c’était elle ma canne qui m’aidait à me maintenir. Ma mère était ma canne contre ma maladie, ma sœur ma canne contre mon agression. 

Je ne réalise toujours pas que je me suis faite agressée, violée, souillée. Au-delà du viol, cette personne m’a enlevé l’espoir de croire en la médecine, l’espoir de guérir de ma maladie. Elle m’a enlevé, une chose que je préservais depuis toujours, mon hymen. Les remarques ont été dures quand on me disait de ne pas m’inquiéter, car j’étais toujours vierge. Oui certes, c’est une partie de moi. 

Depuis, j’ai la peur de l’homme, au moindre toucher, je peux trembler comme une petite feuille. Je me réveille avec des sueurs la nuit, des cauchemars le soir. Je peux pleurer à tout moment en pensant que je reste faible. Je peux me relever à tout moment en pensant que je suis forte. Mon cerveau ne saisit pas toutes les choses encore. J’ai des trous de mémoires de ce jour-là et parfois des flashbacks. Je me réveille un jour sur deux en pensant que je vais abandonner ma plainte, que cela ne sert à rien. J’ai envie d’oublier. Je me réveille un jour sur deux en voulant me battre. J’abandonnerais peut-être ma plainte. Mais si c’est le cas, je me battrais autrement contre toutes ces violences dans ce monde. 

Certaines personnes pensent que je suis passée à autre chose, mais c’est encore au plus profond de moi. Ce n’est pas un combat contre mon agresseur et moi, mais seulement moi contre moi. Je dois accepter de vivre avec cette douleur, de vivre avec cette image quand je ferme les yeux.  

Mais je me suis promise de faire de ma maladie une force. Cette maladie dont on ne meurt pas, mais qui détruit à petit feu. Je ne demande plus de traitements, ou de l’attention, mais de la compréhension. La compréhension d’une maladie dont personne ne comprend grand-chose. 

En attendant cela, je suis aujourd’hui gestionnaire d’évènements sportifs au club de football du Real Madrid. J’ai créé mon agence de conciergerie de luxe cette année. Certaines personnes me considèrent comme une « business woman » car je passe mon temps à voyager, travailler, élaborer des projets. Paradoxalement, je ne me consace jamais à mes relations amoureuses, mais j’ai toujours espoir de fonder un foyer, d’avoir un homme à mes côtés pour découvrir le monde. Si un jour j’ai cette chance j’aimerais lui dire qu’il est le soldat à mes côtés. Et si un beau jour j’ai la chance d’avoir un enfant, j’aimerais lui dire qu’il est la victoire de mon combat. « 

Interview réalisée par Aboubacar KONTE

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